Le "cold case" de Laudun

Publié le 31 Mai 2018

Les « cold cases », ces affaires anciennes non résolues, il y en a des dizaines en France, certaines très médiatisées. On se souvient d’Outreau et de la mort du petit Grégory, exemples typiques d’enquêtes bâclées et de meurtriers jamais retrouvés. On se souvient aussi de l’affaire Patrick Dils dans laquelle les enquêteurs se sont lourdement plantés pour n’avoir pas cherché plus loin que des aveux trop facilement obtenus.
La bonne ville de Laudun a également son « cold case », elle date d’une vingtaine d’années et c’est encore une histoire d’aveu qui est au centre de l’affaire.

 

Catherine Fournier

Le 16 février 1999, Catherine Fournier, 31 ans, disparaît en allant faire son footing. Un grand classique.
C’est son mari, Laurent, ex-légionnaire du camp de l’Ardoise, qui alerte la police depuis la région parisienne où il vient de trouver un emploi. Il s'inquiète de ne pas pouvoir joindre sa femme au téléphone. Les gendarmes se déplacent à leur domicile de Laudun. La maison est vide de tout occupant, rien n’a bougé, pas de traces de cambriolage qui aurait mal tourné, pas de traces de lutte, pas de lettre d’explication, pas d’effets vestimentaires qui expliqueraient la disparition de Catherine.
Pendant 44 jours la gendarmerie, qui privilégie la fugue ou l’enlèvement,  mène une enquête difficile. Elle interroge près de 2000 personnes, organise des battues, contacte tous les propriétaires situés le long de son parcours habituel, convoque près de 600 automobilistes qui auraient pu la croiser, en vain. Après la découverte d’un tee-shirt à l’effigie d’un marathon taché de sperme, tous les participants, pour l'essentiel des légionnaires, sont interrogés, des kilos de tests ADN effectués. Toujours pas de résultats.
Puis le 1er avril un corps de femme est découvert tout près du petit village de St Michel d’Euzet. Malgré l'intervention d’une équipe cynophile, ni la tête, ni les membres, tous nettement tranchés, ni les vêtements ne seront retrouvés. Selon le légiste il s’agit bien du corps de Catherine Fournier, et elle a été frappée d’une cinquantaine de coups de couteau.
Les soupçons ne se portent pas tout de suite sur le mari car il a un alibi en béton, il était à Paris le jour de la disparition. Mais le doute s’installe dans la tête du chargé d’enquête Georges Pélissier. Il raconte : « Je connaissais bien Laurent Fournier, je le voyais trois à quatre fois par semaine pour l'enquête. Je ne le sentais pas, il cachait des choses. J'avais d'ailleurs noté plusieurs pages de contradictions entre ce qu'il disait et ce que je trouvais. Un détail me chiffonnait. Laurent Fournier m’a dit que sa femme courrait toujours sans bijou. Mais dans ceux que j'ai récupérés chez eux, il manquait sa chaîne de ventre que j'avais vue sur une vidéo intime du couple. Et quand j'en ai parlé à Fournier, il est devenu blanc, il a bégayé". Les vidéos des ébats du couple retrouvées au domicile montrent que leur vie n’est pas aussi lisse que le mari veut bien le dire. Mais les gendarmes ne trouvent rien et l’enquête s’enlise.
18 mois plus tard, alors que Laurent Fournier a refait sa vie en région parisienne, et en désespoir de cause, les gendarmes proposent à Laurent une séance d’hypnose qu’il accepte. Le juge d’instruction donne son accord à cette démarche. On fait appel à un spécialiste reconnu, Alban de Jong. Et pendant la séance quelle surprise ! Alors que les gendarmes cherchaient à faire apparaître des détails oubliés qui aurait pu les avancer dans leur recherche de la vérité, voilà que Laurent Fournier s’accuse du meurtre de sa femme. Il fournit des détails précis. Il raconte qu’il a tué et dépecé sa femme avec une hache et une scie aux Cascades du Sautadet.
Deux mois plus tard la sœur de la victime confie à la gendarmerie que dans les affaires de Catherine que son beau-frère lui a remis, elle a trouvé la fameuse chaîne de ventre que Laurent Fournier disait ne pas savoir où elle était.
Le mari est mis en garde à vue et le juge d’instruction fait appel à un profiler pour l’interroger. Là il passe aux aveux. En parlant le plus souvent à la troisième personne, il explique qu’il a tué sa femme car elle venait de lui annoncer qu’elle était enceinte et qu’elle ne voulait pas avorter. Il est descendu de Paris le 15 février et pas le 16, il l’a étranglée et cachée dans son garage. Ensuite pendant les recherches il l’a transportée près du stand de tir de la légion, avant de l’amener aux Cascades du Sautadet pour la découper, puis dans les bois pour l’enfouir. Sur ses indications, les gendarmes partent à le recherche des restes du corps, des vêtements et des armes. Ils ne trouvent rien. Laurent Fournier réitère ses aveux devant le juge d’instruction. Il est mis en examen et incarcéré à Nîmes où il va très vite clamer son innocence.
Un an plus tard c’est le coup de théâtre. Devant la Cour de Cassation, son avocat Philippe Expert, convainc les juges que l’audition sous hypnose est illégale et que c’est donc une manipulation mentale, une méthode coercitive, qui a conditionné les aveux de son client. Et de ce fait toutes les pièces du dossier postérieures à la séance d’hypnose sont annulées. Même la chaîne de ventre n’est plus une preuve recevable. Le dossier est cassé, Laurent Fournier libéré.
Depuis 20 ans l’assassin de Catherine Fournier court toujours, et il est probable qu’il ne sera jamais rattrapé. Et le mari ? Est-ce un individu pervers, un manipulateur, un schizophrène, un meurtrier en cavale ? Où comme dans l’affaire Dils les enquêteurs se sont-ils un peu trop focalisés sur le coupable le plus évident, le plus visible ?

 

Rédigé par Espéluques

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